top of page

édito février 2025: Génie coréen ou humour suédois ?

Writer: Patrick MaurusPatrick Maurus

Han Kang, prix Nobel de Littérature 2024

© Camille Fourmeau


Combien coûte un prix Nobel ? Normalement rien du tout, même si les attributions de plus en plus diplomatiques et consensuelles à mesure que les années passent obligent à poser la question. Car si on ne peut pas l’acheter, il faut expliquer pourquoi les auteurs de Corée du Sud ne l’aient jamais obtenu, jusqu’à Han Kang, cette année ? Toutes tendances du Sud confondues, Kim Suyong, Yi Munyôl, Yi Ch’ôngjun, Kim Sûng’ok, Shin Kyôngnim, bien évidemment Cho Sehûi et même ce vieux facho de Sô Chôngju, auraient mérité d’être au minimum examinés, tant leur travail est supérieur à celui de notre gagnante à la mode, incolore, inodore et sans saveur. Et nous ne parlons même pas de la RPDC. Des gens qui mangent les enfants ne sauraient bien sûr écrire des livres.


Jusqu’à Han Kang donc. Un poids plume des lettres, à la tête d’une oeuvre qui plus est fort modeste. 

Née en 1970, à Kwangju, elle apparaît d’abord comme la fille d’un écrivain lui-même aussi célèbre que consensuel, Han Sûng-won. Elle suivra sa voie. Son premier grand succès, La Végétarienne, en 2016, cherche à nous faire éprouver les affres d’une femme qui se heurte à sa famille parce qu’elle devient végétarienne. Quel drame. Sans compter que le thème n’est pas nouveau et que la prétention écologique du livre pour classe de 6ème faible (à grand renfort d’imparfaits du subjonctif des traducteurs) reste quasiment introuvable. Occasion pour relire Le Végétalisme de Yi Cheha, écrit bien plus tôt. Prix Hyundae Munhak en 1974, donc visible.


Le purgatoire tout de même pour un vrai trait d’humour : L’héroïne ne veut pas faire l’amour avec son mari parce qu’il sent… la viande !


Même chose avec Celui qui revient, qui évoque le massacre de Kwangju en 1980, longtemps après Ch’oe Yun Là-bas sans bruit tombe un pétale (avec le film de Jang Son-wu) et Hwang Sokyong, Par-delà la ligne de la mort (et bien d’autres). Il n’est certes pas interdit de reprendre un thème ‘commun’, d’autant plus qu’il s’agit d’une tragédie nationale. Mais il faut alors lui apporter quelque chose. Or non seulement Han Kang lui retire l’essentiel, c’est-à-dire le silence, l’ignorance de ce qui s’était passé, l’impossibilité de trouver des réponses pendant toute la dictature Chun Tu-hwan, mais elle, contrairement à la totalité des Coréens, elle sait tout. Elle est à la fois victime, torturée, tuée, disparue. Elle nous offre un guide touristique de la répression vue de son salon. Chez elle tout déborde de détails, alors que, nous pouvons en témoigner personnellement, lorsque Chang Sôn-u (Jang Sun-woo) a tourné sur place dans les mêmes rues et avec bien des survivants insistant pour jouer les figurants, une partie de ces survivants se sont rassemblés autour du journaliste Philippe Pons avec lequel nous assistions au tournage, avant tout pour obtenir de lui, qui avait été témoin du massacre, des confirmations. Un peu comme si leur traumatisme ajouté au black-out les poussait à mettre en doute leur propre mémoire. Il ne suffit pas de bouddhistiser son vocabulaire pour faire passer le compte-rendu indigeste d’un événement qu’on n’a pas connu pour en faire un roman.


Impossibles Adieux (2021) a pour contexte le soulèvement de Cheju en 1948, lui aussi déjà raconté… Exemple, La Mot du corbeau, un des textes de Kim Sokbom, complexe, un peu mal fichu, mais terriblement authentique, en face du livre de Han Kang, tellement appliqué. Han Kang redécouvre donc le massacre de Chejudo après tant d’autres, car son héroïne après avoir erré à la recherche d’un perroquet qui risque de mourir de faim (Han Kang a le génie des grandes causes existentielles) fini par découvrir quelques notes sur le crime de masse d’un régime soutenu par la France. Hymne à l’amitié et puissant réquisitoire contre l’oubli, nous dit l’éditeur. Ca commence à faire beaucoup. Vraiment beaucoup. De la captation d’héritage. Car personne n’avait oublié ce monstrueux massacre de dizaines de milliers de personnes, qui montre à lui seul que la guerre de Corée de 1950-1953 n’était que la partie déclarée d’une longue guerre civile.


Il n’est donc pas interdit d’évoquer les mêmes drames que d’autres auteurs, tout comme il n’est pas interdit d’en décrire d’autres… A moins que ce ne soit un texte mis au point par les fondations subventionneuses sud-coréennes pour tester la culture des critiques français. Dans ce sens, c’est gagné…


L’obsession du Nobel à Séoul (Hwang Sôk-yong a passé de nombreux mois à Stockholm…) a jeté son dévolu sur Han Kang, parce qu’elle est consensuelle au point de jeter un nuage de banalités sur tout ce qu’elle touche. Valeur d’échange immuable, elle ne pose aucun problème. Mais normalement, le jury Nobel n’est-il insensible aux pressions ?


Quel dommage dans un pays qui compte tant de grands écrivains du même âge (Ch’ôn Myônggwan ou Pak Mingyu), et surtout tant de grandes écrivaines (Pyôn Hyeyong, Kong Chiyong).

Alors, après le Nobel coréen, quoi ? Un pape coréen ? 

Comments


Commenting has been turned off.
bottom of page