La Corée du Nord (RPDC) offre aujourd’hui le spectacle d’un pays en chantier. C’est d’autant plus marquant que les années de stagnation (75-95 environ) et la longue famine qui en a été largement la conséquence avaient donné une image bien différente. Renouant avec les années de construction qui ont suivi d’abord la Libération (1945) puis la Guerre de Corée (1950-1953), la capitale et la côte Est en particulier se couvrent d’impressionnants immeubles, entourés à la coréenne de parcs de loisir, de grands magasins, d’installations sportives. Les chaînes de télévision locales ne se contentent pas de montrer des tirs de missiles, elles abondent en inaugurations et en inspections menées en personne par le Leader Kim Jong-Eun. Les téléspectateurs adorent. Autour de Namwon, à Kalma, ce sont des dizaines de grands hôtels qui émergent, attendant leur ouverture en grande pompe le 25 avril 2020, reportée d’un an.
Pourtant la Corée du Nord continue à ne faire l’actualité à l’extérieur que pour pour des raisons militaires, et ses derniers essais de missiles à courte portée du 25 juillet au 10 août 2019 dans la mer du Japon (entre la péninsule coréenne et l’archipel japonais) ne sont qu’une millionième variation sur le « danger » que ferait peser l’Asie sur « nous ». Déjà chez Eschyle…
Leçon n°1, la RPDC est inguérissable, elle ne pourra jamais abandonner sa manie de lancer des fusées partout ! Plus sérieusement cependant, ce nouvel épisode guerrier semble chercher à faire oublier la période d’espoir ouverte par les rencontres Kim-Trump et les entretiens inter-coréens, qui avaient provoqué un Niagara d’articles aussi optimistes qu’ils avaient été négatifs précédemment, mais tout aussi totalement dépourvus d’un savoir quelconque sur le sujet.
Sur cette nouvelle étape de l’escalade militariste (et des intérêts économiques qu’elle sous-tend), il pourrait être d’abord intéressant de signaler que les essais de missiles ont deux causes directes : l’organisation d’exercices militaires joints américano-sud-coréens et l’acquisition d’avions de combat dits « furtifs » F-35 par la Corée du Sud que la RPDC considère dirigés contre elle.
Broutilles ? Détails ? À y regarder de près, ces éléments du débat montrent surtout qu’ils sont très aisément surmontables. Trump himself a tweeté le 2 août que « Ces tests de missiles ne sont pas une violation de notre accord signé à Singapour », précisant même que les USA et la RPDC n’avaient jamais discuté de missiles à courte portée. Le Conseil de sécurité des Nations unies jusqu’ici très prompt à condamner le Nord a en quelque sorte voté avec les pieds, en n’aboutissant à rien de tangible et sans publier de texte de condamnation.
Côté nord-coréen, le message est clair, ancien et répété : elle ne cédera pas aux pressions, quelles qu’elles soient. Et beaucoup commencent à comprendre que, bien au contraire, ces pressions sont complètement contre-productives en ceci qu’elles renforcent la cohésion nationaliste de la population.
L’analyse de la situation intérieure et régionale aboutit au même constat. Après une année 2018 économiquement difficile (production agricole insuffisante), marquée par certaines hésitations concernant l’organisation administrative et politique du pays, le rebond est manifeste. Il a fallu pour cela, plusieurs faits en attestent, une certaine reprise en main. En effet, le pays est l’objet de multiples réformes (mot qui n’est jamais employé) qui ne sont pas toutes l’objet de mesures législatives, car il est toujours assez difficile de remettre trop ostensiblement en cause les décisions de Kim Il Sung. Concrètement, il s’agissait de rappeler à la nouvelle couche entrepreneuriale qu’il ne fallait pas dépasser certaines limites. « Autonome » est le maître mot de toutes les réformes, il ne signifie ni indépendance, ni libre entreprise. Plusieurs « entrepreneurs » se sont fait taper sur les doigts publiquement, non pas officiellement pour enrichissement trop rapide, mais pour activités illégales : aller en dehors de Pyongyang pour se fournir en produits revendus plus chers à la capitale nécessite en effet la violation d’un certain nombre de règlements et le contournement des autorisations nécessaires. Autre symptôme, les unités de travail qui se sont aventurées dans des domaines qui n’étaient pas les leurs à l’origine ont été priées de réduire la voilure ou de ripoliner leurs activités.
La prégnance des sanctions de l’ONU. Si elles ne fonctionnent absolument pas politiquement, elles ont évidemment des effets économiques immédiats et durables. L’énergie et les transports restent sinistrés, tandis que le commerce donne des signes de rapide développement, tant dans les zones économiques spéciales qu’avec les grandes surfaces. Chacune regorge de produits étrangers, pas seulement chinois, dont beaucoup tombent théoriquement sous le coup des sanctions. En plusieurs endroits, une sorte de « concurrence » prend forme, ce qui ne cadre pas complètement avec les principes du régime.
Aujourd’hui, une des armes principales de l’économie nord-coréenne, érigée au rang de « priorité nationale », est le tourisme. On serait bien mal inspiré d’en ricaner. L’objectif du million de visiteurs (une goutte d’eau en termes chinois) est déjà atteint, renforçant encore l’intérêt des grandes entreprises sud-coréennes, qui piaffent d’impatience à l’idée de participer à « l’ouverture » du Nord. Il n’est pas interdit de penser qu’elles sont devenues un allié objectif de la RPDC dans la pacification de la péninsule, expliquant en partie les tentatives de rapprochement initiées par Mun Jae-In, le président sud-coréen.
Un article précédemment publié chez les éditions Hémisphères.
Patrick Maurus
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