Ses débuts fracassants, avec Namok (L’Arbre nu, 1970), et son impressionnante production depuis lors, ne la libèreront pas de ses contraintes sociales, sa vie ultérieure étant sans arrêt marquée par des drames et des deuils familiaux particulièrement douloureux. Loin d’en hériter un sentiment pessimiste, voire pleurnichard, qu’on aurait pu comprendre, elle va continuer à exprimer un amour de la vie et des gens, en particulier des femmes, qui tranche sur la production d’autres auteurs pourtant moins blessés par l’existence. Elle est une des rares femmes à développer un véritable sens de l’humour (Kûjaninhaettôn nal-ûi halmikkot, Une vieille anémone, un Jour lugubre, ou encore Celle que j’ai rencontrée à l’Aéroport), y compris au détriment des traits nationaux de ce pays ultra-nationaliste.
S’il fallait résumer son approche du monde, ce serait Comment survivre, ou plutôt, regardant toujours le passé à travers le présent, Comment avons-nous survécu ? La question prend sa source dans le naufrage des valeurs consécutif à la Guerre de Corée, à la division du pays, et aussi dans l’impossibilité des gens de sa génération à émettre un discours politique autre que de guerre froide, ou encore à expliquer pour quoi celui-ci est mort alors que celui-là a survécu. Elle est en ce sens un écrivain du hasard tragique.
Cela se traduit, dans son écriture, par un refus relatif d’intervenir, à travers une hésitation forte à décrire et définir personnages et situations. En cela, elle hérite largement de la fiction coréenne, depuis toujours avare en descriptions. Dans le cas de Pak Wansô, cela lui permet de ne pas à avoir à expliquer l’inexplicable, et à en rester à la seule compréhension émergeant des rapports humains.
A de rares exceptions près, ses personnages sont des femmes. Leur vie n’ont le plus souvent rien de très particulier. Etre femme et assumer leur mémoire et leur rôle sociale emplit leur vie. Citadines de la classe moyenne, elles oscillent entre une sorte d’ennui mal défini et un acharnement à vivre. Les trois générations deOmmaûi malt’uk (Les Piquets de ma Mère, 1994) incarnent parfaitement l’ensemble des personnages de Pak Wansô et les pesanteurs du métier de femme, tout au long du siècle écoulé. Mais c’est surtout un hymne à la force de ces femmes, dans un monde où les hommes sont très régulièrement absents, après avoir provoqué une catastrophe que les femmes devront assumer quoi qu’il leur en coûte. L’héroïne narratrice est encore une enfant lorsque sa mère, cédant à l’exode rural et contre toute prudence, part pour Séoul planter ses piquets. En grandissant, elle assistera à tous les drames de l’occupation japonaise, de la division et de la Guerre de Corée, avant de devoir assurer la transmission entre sa mère déjà dans un autre monde et la nouvelle génération prématurément sourde aux récits du passé. Un leitmotiv va organiser tous les épisodes, celui de la femme moderne, auquel chacune semble donner un sens différent.
Juste après, elle reprend cette thématique dans une forme autobiographique romancée, Kûmant’ôn shinganûn nuga ta môgôsûlkka? (Qui a mangé tout le shinga ?) dans laquelle elle interroge plus précisément l’époque coloniale et son éducation de nouvelle femme. Une Sortie hivernale (1986) basée sur l’histoire vraie d’une de ces femmes qui, contre toute vraisemblance, est parvenue à survivre à la guerre, mais au prix d’un incurable traumatisme, illustre parfaitement sa méthode: très peu de descriptions, peu d’événements spectaculaires, des personnages définis par leur histoire, la mise à jour d’une douleur existentielle révélée par un détail ou une anecdote.
Patrick Maurus
dans Dictionnaire des Créatrices
Références
Celle que j’ai rencontrée à l’Aéroport, in L’Oiseau de Môlgyewôl, Le Méridien éd., 1988
Sortie hivernale, in La Chanteuse de P’ansori, Actes Sud, 199
Les Piquets de ma Mère, Actes Sud, 2006
Une vieille Anémone, in Une Fille nommée Deuxième Garçon, Le Méridien éd., 1989
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