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  • Moon Siyeun

Feuilletons télévisés

ARTICLE TIRÉ DU NUMÉRO 1 DE LA REVUE TANGUN – LE JOUR OÙ LES CORÉENS SONT DEVENUS BLONDS, MARS 2007.

Par MOON Siyeun


Partout ailleurs dans le monde, les productions américaines ont massivement envahi petits et grands écrans. Car, la puissance économique de son capital et l’importance de la langue anglaise font que son marché s’étend au monde entier. Le développement de la vidéo, du câble, du numérique n’arrange rien. La Corée, onzième puissance mondiale, possède 5 chaînes hertziennes publiques et privées, un câblage récent (plus de 3 millions de foyers, trente chaînes), deux projets de satellites numériques, et une bonne diffusion d’Internet.


Or, bien que la Corée fasse partie d’une des zones principales d’influence des États-Unis, pour des raisons historiques, politiques et économiques connues, elle résiste grâce à la passion des téléspectatrices pour les feuilletons télévisés. Quel miracle ! Alors, quelles sont les recettes imaginées par ces feuilletons pour que les ménagères monopolisent les chaînes en chassant leur mari à l’heure de leur diffusion ?


En Corée, on regarde normalement le journal télé à 21 heures, excepté celui de SBS, chaîne privée qui présente son journal à 20 heures, comme en France. Par conséquent, les feuilletons sont diffusés à 20 heures 30 et 21 heures 30, voire consécutivement à 22 heures 30. D’ailleurs, le week-end, c’est encore pire. Il y a des feuilletons de la matinée, de l’après-midi, rediffusions de ceux de la semaine, tandis que ceux de la soirée, qui commencent à 20 heures, recommencent à 22 heures. En bref, on peut dire qu’ils sont programmés en prime time. Ce phénomène montre la place importante qu’ils occupent sur les chaînes coréennes.


D’ailleurs, d’après un sondage récent, les programmes les plus regardés par des gens qui ont un emploi sont le journal télévisé (36.9%), les feuilletons (27.8%), le divertissement ou les variétés (18.6%) et les documentaires (10.6%). Et les raisons de regarder la télévision, sont : avoir des informations (33.8%), pour le plaisir (31.2%) et par habitude (30.4%). Selon ces statistiques, beaucoup regardent les feuilletons, même parmi les employés qui n’ont pas beaucoup de temps à consacrer à la TV.


Il y a toutes sortes de home drama : ceux de tous les jours, ceux des lundi et mardi, ceux des mercredi et jeudi, ceux du vendredi et ceux du week-end. On n’arrête pas. Quant aux séries quotidiennes, il ne s’y passe pas grand-chose, à part quelques conflits familiaux quotidiens sans importance. Ainsi, même si on loupe quelques épisodes ou même si on est parti en vacances, on peut toujours suivre les séries sans difficulté. Car, elles se contentent de réconcilier et de réunir la famille au lieu de viser plus haut.

Sinon, de quoi parlent ces feuilletons ? Les feuilletons coréens diffèrent-ils des séries américaines comme Dallas, de Santa Barbara ou les Feux de l’Amour ? C’est toujours plus ou moins une (des) histoire(s) d’amour avec un conflit familial. Nous pouvons classer cette (ou ces) histoire(s) d’amour en 3 catégories de mélodrames : familial, romantique et féminin.


La famille, avec une idéologie particulière, mélange de celle de la bourgeoisie occidentale et de celle de la famille confucianiste, est le cadre du mélodrame coréen. Il y a le mélodrame familial qui met l’accent sur l’amour maternel et celui qui met l’accent sur l’amour filial. Le premier traite de la prédominance confucianiste de l’homme sur la femme et l’idéologie de la discrimination sexuelle ; et le second l’idée de la fidélité au roi (ou au président aujourd’hui), de la piété filiale ou bien de l’idéologie anticommuniste [1].


Dans les années 70, l’économie de la Corée prenant un essor prodigieux, il s’agissait souvent d’une histoire d’amour impossible entre un jeune pauvre se préparant à devenir avocat ou juge et une jeune et belle ouvrière qui l’entretenait en travaillant dur. Lorsqu’il réussissait et appartenait dès lors à un autre milieu social qu’elle, il n’y avait plus qu’à attendre le sacrifice de la jeune femme bientôt trahie. En voyant les souffrances de cette faible femme, les dents de beaucoup de femmes grinçaient d’indignation devant le poste.


Dans les années 80 et au début des années 1990, lorsque l’économie se développait avec des hauts et des bas et que la lutte contre la dictature militaire était forte, les conflits entre hommes et femmes, entre générations, entre couches sociales différentes, constituaient les sujets des fictions. Les affaires de coeur restaient les sujets préférés de tous (ou plutôt de toutes). Mais, au lieu de sacrifice comme dans La Dame aux Camélias, l’amour prenait la forme de l’amour partagé (malgré l’opposition des parents) ou non. Les héroïnes qui se libéraient du joug de la nature étaient de moins en moins soumises et de plus en plus entreprenantes dans leur amour. Le capitalisme ou la différence de fortune créait une nouvelle répartition des classes sociales : les riches et les moins riches, ou carrément dépourvus. Les feuilletons ne manquaient pas l’occasion de favoriser ou même d’inciter au complexe de Cendrillon. Avec, par exemple, l’amour entre l’héritier d’une famille riche et la fille du chauffeur de son père, etc. Imaginez la colère et l’opposition de la famille ! À peu près comme le film américain Pretty Woman. Les sujets témoignant des aspirations des femmes semblaient indémodables.


Il faut ajouter, surtout vers la fin des années 1990, des feuilletons satires de la politique. Ce phénomène signifiait que le temps de l’oppression pendant la dictature et le gouvernement militaire était passé et que l’on pouvait désormais exprimer plus librement ce qui avait été caché ou interdit. Ces feuilletons prenaient parfois la forme de feuilletons historiques faisant sournoisement allusion à la situation politique du moment. Ce qui est frappant, c’est que ces drames historiques avaient toujours le même succès. Mais la fable continuait à reposer invariablement sur la jalousie et sur la vengeance des maîtresses du roi, poussant leurs enfants à ambitionner le trône, quelque soit l’époque.


Un autre phénomène nouveau à l’époque a été la floraison de la sitcom comique et familiale. Cette nouvelle tendance montrait que les chaînes cherchaient constamment à mobiliser les moyens du comique pour renouveler les ressources d’une situation. Les sitcoms n’avaient rien à dire et les téléspectateurs n’en attendaient rien. Il était clair qu’il n’y avait pas de message à faire passer. C’était un pur et simple divertissement. Ce n’est pas exagérer que de dire que le poste de télévision était une véritable fool box, comme diraient les Américains.


Aujourd’hui, l’adultère et le divorce sont les sujets brûlants et à la mode. Quand on sait que les feuilletons télévisés ont tendance à refléter les mœurs de la société, cela veut dire que ces thèmes rendent compte d’un problème déjà sérieux en Corée. Puisque les femmes ont conquis des droits dans leur couple, certes encore un peu limités, la promotion féminine modifie forcément différents aspects de la vie des couples et des mœurs conjugales. Le temps est révolu où le mariage n’était fondé que sur le sacrifice unilatéral et le devoir. Il est temps de le fonder sur l’épanouissement sexuel et la séduction. Et, en cas de mésentente conjugale, le divorce se présente comme la seule solution qui dissout le mariage. Mais comment sont les maris coréens ? Ils sont stressés au maximum dans leur travail à cause de leurs supérieurs, leurs collègues et leurs subalternes dans une structure propre à la Corée : hiérarchie, clan universitaire ou régional, résidu confucianiste, etc. Cela les pousse à boire pour se consoler, oublier ou servir les pots-de-vin. Résultat : les pauvres maris rentrent tard ou même très tôt, c’est-à-dire le lendemain matin. On peut facilement imaginer la suite : les femmes mécontentes, les scènes de ménage répétées, la bouderie, la séparation momentanée, la déclaration de divorce, les interventions de toute la famille, la réconciliation et la résignation ou le divorce… Les femmes ne veulent plus supporter l’indifférence et la négligence de leur mari.


Certes, cette prédominance des thèmes de l’adultère et du divorce résulte de l’actualité des mœurs qui sont en train d’évoluer. Mais, on évoque aussi la crainte d’une influence néfaste des feuilletons sur la vie du couple. Car, si les mœurs créent les feuilletons, ceux-ci peuvent à leur tour modifier les mœurs. Dans ce sens, il est légitime de penser que les feuilletons où sont évoqués adultère et divorce peuvent influencer ou corrompre les mœurs. Cependant, nous ne pouvons pas non plus leur imputer une trop grande responsabilité dans la désagrégation de la famille, la montée de l’inconduite ou des divorces. Bien qu’ils puissent familiariser ou habituer les téléspectateurs à l’adultère et, plus loin, au divorce, en présentant l’amant (ou la maîtresse) sous des traits séduisants, il faut chercher la vraie cause de l’affaiblissement de la vie conjugale ailleurs que dans des feuilletons. Car, la vérité humaine (l’égoïsme) a aujourd’hui plus de sens et d’effet sur la vie affective que le “système” (mariage, divorce ou union libre).

Aujourd’hui, nous pouvons difficilement imaginer un feuilleton comme Deux familles sous un même toit, dans lequel plusieurs générations et familles coexistaient avec bonheur et quelques difficultés. Le même toit est maintenant remplacé par un officetel (office + hôtel) moderne, dans lequel vit un individu isolé, qui rencontrera un autre individu isolé. Les jeunes gens seuls qui ont fait fortune dans l’informatique ou dans les télécommunications ne rencontrent plus l’opposition des parents pour leur choix en amour. Le seul obstacle, c’est leur caprice, leur égoïsme, leur différence de caractère. Nous pouvons constater sans difficulté que l’époque a bel et bien changé.


Soit ! Il est vrai que bien des voix critiques s’élèvent contre des séries télévisées qui ne font que dévaster les jugements de valeur, provoquer l’érotisme et encourager au luxe. Actuellement, quatre chaînes transmettent à la télévision 34 feuilletons par semaine : 5 par KBS1 (chaîne publique), 10 par KBS2 (publique), 9 par MBC (privée) et 10 par SBS (privée). Ces feuilletons atteignent presque 20% de l’horaire total. Par rapport à 3 ou 4% en Angleterre, 6 ou 7% au Japon et 8 ou 9% en Allemagne, ces taux excessifs de la Corée sont provoqués par la course effrénée aux téléspectateurs. Et, étant donné que, parmi les 10 premiers programmes choisis par les téléspectateurs, on trouve toujours 5 ou 6 feuilletons, ce phénomène entraîne naturellement une guerre des feuilletons.


Or, cet amour démesuré pour les feuilletons protège paradoxalement les téléspectateurs coréens contre les séries américaines, qui sont en général violentes et provocantes, et qui, surtout, ne sont pas mieux que les nôtres. Seulement, malgré tout l’amour que le peuple coréen porte aux séries coréennes, il sait en critiquer le contenu. Selon lui, la plupart des séries traitent toujours de sujets improductifs et commerciaux, comme les jeux de l’amour ou des événements insignifiants de tous les jours. Autrement dit, nous manquons de séries qui soient tournées vers l’avenir et qui comportent des jugements de valeur sains. Il est donc grand temps de rénover les feuilletons qui flattent le goût facile de téléspectateurs peu exigeants. Les séries télévisées en Corée sont un peu comme le théâtre de Boulevard en France : socialement actif et esthétiquement pauvre. [2]


Moon Siyeun

 

1. Par exemple, une série militaire intitulée Compagnon de combat, populaire dans les années 70, présentait des scènes de guerre entre soldats Sud-coréens démocrates et nord-coréens communistes.

2. D’autres articles sur les feuilletons seront proposés dans notre numéro deux.


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