Roh Tae-woo, la Corée du Sud devant ses ambiguïtés
L’ex-président vient donc de mourir à 85 ans. Si son nom ne signifie pas ou plus grand chose hors Corée, il n’y a plus grand monde aujourd’hui dans la péninsule pour chanter ses louanges, alors que Park Chung-hee continue à bénéficier d’a priori positifs (dans certains cercles), en raison du rôle qui lui est attribué dans le décollage économique de la Corée du Sud, et ce malgré ses méthodes parfaitement dictatoriales et son passé de militaire dans l’armée japonaise.
Pour Roh, le récit national hésite entre ses complots avec les gradés de Hanahoe, sa participation au coup d’Etat de Chun Doo-hwan et à la loi martiale qui a suivi, son rôle dans le massacre de Kwangju, ses responsabilités gouvernementales d’alors, qu’il place en regard de l’organisation des premières élections plutôt démocratiques de 1987, après avoir forcé la main à Chun. Décision tombant pile pour rendre la Corée présentable pour les J.O. de 88, suite auxquels Séoul établira des relations diplomatiques avec l’URSS et la RP de Chine.
Car si l’on croit encore que la démocratie peut s’octroyer, on peut en gratifier tout le monde, sauf le dictateur… Il faut se rappeler aussi des immenses manifestations des cols blancs à Séoul et d’une population qui n’avait plus peur, signifiant ainsi au régime que son crédit était épuisé.
Peut-être est-il plus intéressant de s’interroger sur les causes de ce phénomène spécifiquement coréen.
Gregory Henderson, dès 1968, a proposé la métaphore du Vortex, du tourbillon, comme schéma structurant de la politique coréenne depuis des siècles. Ce n’est pas chercher une excuse à Roh que de réfléchir à des causes plus larges. La thèse d’Henderson, transrégime, postule que lorsque des oppositions majoritaires ont réussi à se constituer au fil du temps, elles ont toujours finies par se fossiliser dans des divisions tellement profondes que la minorité a pu se saisir du pouvoir. Le schéma s’est répété lors des élections de 87, quand Roh Tae-woo, devant faire face à l’opposition des « Trois Kim », les deux opposants historiques, Kim Young-sam et Kim Dae-jung et l’ancien premier ministre de Park, Kim Jong-pil, l’emporte avec un gros tiers des voix.
Ce phénomène est, entre autres, une manifestation majeure du régionalisme forcené, chacun l’emportant dans son pré carré, au moins jusqu’à l’élection de Roh Moo-hyun en 2003. Il procède aussi du factionnalisme (faction ou fraction) increvable régnant dans tous les mouvements politiques et qui explique en partie la réponse monolithique au Nord et les incessants changements de partis au Sud.
© Illustration de Julien Saint-Sevin Inspiration via Vecteezy
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