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Ch'oe Yun

De ‘Là-bas sans bruit tombe un pétale’ au ‘Pétale’



petale film

En 1991, Ch’oe Yun publiait Là-bas sans bruit tombe un pétale, une longue nouvelle qui retrace le parcours d’une jeune fille survivante du massacre perpétré par l’armée sud-coréenne sur la population de Kwangju dix ans plus tôt. Cinq années plus tard, le réalisateur Chang Sôn’u décide de porter ce texte à l’écran, et de reconstituer le massacre sur les lieux mêmes de l’insurrection.


Quand on m’a demandé mon accord pour porter mon texte Là-bas sans bruit tombe un pétale à l’écran, j’ai accepté sans hésitation, tout d’abord pour une raison politique. C’était vers la fin du mois de juin, à peu près un mois et demi avant la date légale pour la punition des responsables du massacre de Kwangju. La pétition des professeurs d’université pour un jugement en appel, lancée par ceux de l’université Koryô, peinait avec les vacances. J’espérais que la nouvelle médiatique d’un tel film pourrait au moins contribuer à réveiller l’opinion publique qui s’était quelque peu endormie sous la chaleur de l’été coréen.

En plus, on m’avait précisé que le metteur en scène avait l’idée de reconstituer ce qui s’était passé quinze ans auparavant, en particulier la scène primordiale du soulèvement de la rue Kûmmam, avec la participation des citoyens de la ville de Kwangju. Cet élément était décisif pour moi comme pour beaucoup de Coréens qui ne l’avaient vécu qu’indirectement à travers les journaux étrangers, car je faisais alors mes études en France, ou avec des documents sous le manteau après mon retour. J’avais déjà remarqué les films de Chang Sôn’u (Jang Sun-woo) et leur énergie impulsive, mais ma curiosité quant à l’adaptation de mon texte n’est venue que plus tard tant j’étais prise par ce côté politique des choses.


Il y a pourtant une différence nette entre l’esthétique et le tempérament de Chang Sôn’u et les miens en roman. C’est la raison pour laquelle je m’attendais à une création tout à fait autre que le roman, et je me souviens ne pas être intervenue dans le processus de création, si ce n’est à peine une heure ou deux de discussion avec l’équipe pour faire part de mes principaux soucis : comment éviter l’interprétation sentimentale de l’événement, et comment interpréter les deux niveaux de violence mis en question dans le roman, individuel et historique. J’attendais sans le moindre préjugé une interprétation cinématographique de cet événement historique appuyée sur mon roman. C’était une création, et, à ce titre, je m’interdisais toute interférence.

J’ai néanmoins assisté à quelques journées de tournage, afin que mon absence ne soit pas mal interprétée. Je garde en particulier en mémoire ce jour où je suis descendue jusqu’à Kwangju. C’était le jour où on tournait justement la scène du massacre dans la rue principale. Les figurants étaient des survivants ou des citoyens de la ville qui avaient imposé le tournage à des autorités qui souhaitaient l’interdire. La ville était ceinturée de forces de police, qui cherchaient à détourner les gens. Malgré les mauvaises directions, j’ai fini par arriver au centre-ville, devant le bâtiment de la YMCA.

Je me souviendrai toujours de cette vision : c’était l’heure du repos des acteurs, et un certain nombre d’entre eux étaient allongés sur la place devant le bâtiment du gouvernement régional. Comme ils étaient maquillés et donc couverts de rouge puisqu’ils allaient figurer des victimes, la scène donnait véritablement l’impression qu’un massacre venait d’avoir lieu.

Puis, un peu plus tard, lorsque la manifestation reconstituée s’est mise en branle, les manifestants qui brandissaient des slogans contre les militaires de 1980 se sont mis à hurler contre le président en place, originaire de la même province que leurs tortionnaires. Je suis entrée dans la foule.


Le film Le Pétale est une œuvre propre à Chang Sôn’u, qui provoque une réaction forte de la part du public, même après quinze ans. En évitant justement le sentimentalisme, parfois en le ridiculisant, le metteur en scène inventé une grammaire d’images. En changeant de scène selon un rythme tout à fait particulier, il a respecté la composition du texte d’origine où la courbe émotionnelle devient violente vers la fin, ce qui aurait pu être plus difficile à faire passer dans un film que dans un roman.

Ce n’est pas une tâche facile de superposer au niveau visuel la violence particulière imposée à une jeune fille innocente et celle, collective, infligée aux citoyens de Kwangju. C’est sans doute pour cela que la scène du viol dans Le Pétale me semble plus longue que nécessaire alors que les scènes en noir et blanc, concernant le soulèvement, me paraissent insuffisantes. Cependant, les années écoulées depuis le massacre avaient charriées tellement de choses inessentielles et de malentendus non résolus, l’événement pesait si lourd dans la conscience du public, que même quelques minutes auraient pu lui paraître longues. J’imagine rétrospectivement à quel point assumer le premier film sur Kwangju avait dû peser d’un poids considérable sur le metteur en scène.

Je me suis intéressée tout particulièrement à quelques questions soulevées par le film : l’interprétation critique de Chang Sôn’u du nationalisme conventionnel, à travers la scène où la fille rebrousse chemin dans la rue du marché alors qu’on salue le drapeau la main sur la poitrine à l’heure de la diffusion de l’hymne national à la radio, et le regard sceptique jeté par les intellectuels, dans la façon dont les jeunes à la recherche de la fille, jeune sœur de leur ami disparu, sont ridiculisés. Ainsi le film a pointé du doigt les régions endormies de notre conscience irresponsable, et ces scènes courtes et efficaces ont transmis au public la possibilité de lire sous un autre angle le soulèvement de Kwangju.

Là-bas, sans bruit, tombe un pétale


Ch'oe Yun


 

Nouvelle de Ch’oe Yun, traduit du coréen par Patrick Maurus, version française revue par l’auteur, Actes Sud, 1991, 131p.

Konnip, Le Pétale Titre anglais : A petal Mise en scène : Chang Sön’u Scénario : Chang Sôn’u, d’après le livre de Ch’oe Yun Photo : Yu Yônggil Montage : Kang Yangil Musique : Wôn Il Interprétation : Yi Chônghyôn, Mun Sônggun 110 mn, couleurs, 1996

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