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Writer's pictureMarion Gilbert

Corée du Sud : des célébrations de mariage entre femmes

Le présent article est issu d’un travail de thèse fondé sur un terrain de recherche situé en Corée du Sud de juin 2018 à décembre 2019. Par conséquent, sauf mention contraire, l’ensemble des données présentées appartiennent à l’auteure. Toute personne diffusant et/ou utilisant les données sans son accord préalable s’expose à des poursuites judiciaires. Cet article sera très prochainement publié, avec d’autres, dans un numéro papier de la revue tan’gun (éditions Harmattan) sur le genre et le queer.

Plage de Haeundae, pendant la deuxième édition du festival queer de Busan (2018) – © Marion Gilbert

Malgré l’absence de reconnaissance légale des unions entre personnes de même sexe, certains couples homosexuels sud-coréens décident tout de même de célébrer leur mariage. On peut les classer en deux types de cérémonies.


Premièrement, celles ayant lieu hors de la Corée du Sud, où le mariage est contracté dans un pays étranger. Elles peuvent être motivées par un·e conjoint·e étranger·ère [1], dont le pays d’origine reconnait juridiquement le mariage homosexuel, mais pas uniquement. En septembre 2019, un couple de femmes sud-coréennes a déposé une déclaration de mariage dans l’état de New York, après avoir entendu dire qu’un autre couple de sud-coréennes se serait marié au Canada. Le couple a connu une exposition médiatique grâce à une publication retwittée 9000 fois qui s’est suivie d’interviews pour différents journaux sud-coréens, dont le Kyunghyang. Dans ces propos, Kim Kyu-Jin, la jeune mariée affirme qu’elle a reçu des messages de remerciements, et que dans certains cas, son expérience en motivait d’autres à se lancer. Les femmes mariées narrent leur expérience nuptiale à celles qui n’osent pas y penser. Des situations heureuses sont source d’inspiration et elles aident à franchir le pas vers quelque chose qui était préalablement craint, parce que non reconnu par l’Etat. Ce qui a fait sensation dans cette affaire n’est pas tant le mariage en lui-même que la demande d’une des mariées, qui a réclamé des congés auprès de son employeur afin de partir en voyage de noce avec sa femme, sur l’île de Jeju. Elle aurait également bénéficié d’une gratification financière [2], une somme couramment donnée par l’employeur à ses salariés pour célébrer les évènements de la vie. L’union de Kim Kyu-Jin et de sa femme a été reconnue par l’entreprise alors même que le milieu professionnel est particulièrement angoissant pour les femmes queer qui redoutent un licenciement causé par leur orientation sexuelle, Dans l’article du Kyunghyang, il est néanmoins précisé qu’il s’agit d’une firme étrangère, où les employés seraient soit disant plus ouverts d’esprit, contrairement aux milieux professionnels nationaux où le coming-out rendrait les relations difficiles.


La première solution trouvée afin de pouvoir s’unir légalement n’est autre que déclarer son mariage à l’étranger, sans pour autant avoir un partenaire du pays où l’on dépose sa déclaration. Le problème de la reconnaissance du mariage est en partie résolu par la célébration d’une union transnationale contractée par des Sud-Coréen·ne·s en Amérique du Nord où en Europe, qui n’est cependant pas reconnue une fois rentré·e·s en Corée du Sud. Le mariage devient alors symbolique mais permet de consolider les fondements d’une union entre deux partenaires. Il s’agit d’une union emblématique qui fonde le couple en tant que famille officieuse.

Cependant, ce modèle transnational de mariage ne peut se faire qu’avec un capital social et financier importants puisqu’il faut voyager, fêter la célébration avec amis et famille qui se déplacent aussi à l’étranger, parler la langue du pays (ou au moins l’anglais) afin de suivre les démarches administratives (ou de payer un interprète pour cela). Il existe ainsi une deuxième façon de se marier : organiser une fête, en Corée du Sud, dans un wedding hall, même si l’union ne sera pas reconnue par l’Etat. Il s’agit de célébrer au moins l’union de la manière la plus normale possible, même si elle n’ouvrira pas de droits conjugaux officiels. Les lieux utilisés d’ordinaire par les couples hétérosexuels sont ceux sollicités par les futures mariées. Sin So-Yŏng, photographe queer, est souvent engagée pour prendre des clichés de mariage entre femmes. Elle raconte les difficultés que peuvent rencontrer les couples à propos de la location de l’endroit.


La difficulté de l’organisation tient à obtenir le consentement des propriétaires de la salle, qui voudront ou non la louer afin de célébrer un mariage entre femmes. Afin d’en trouver une, les mariées réitèrent les demandes par téléphone. Bien que les femmes soient majoritairement rejetées, certaines entreprises voient dans les mariages féminins un gain important. Quand les couples de lesbiennes sont les bienvenus, c’est parce qu’ils paient le double en robe de mariées et en coiffure, éléments considérés comme les plus chers d’un mariage. Sin nous apprend, d’une part, que les lesbiennes se marient généralement en robe de mariée et coiffées de la même façon que les femmes des cérémonies hétérosexuelles. Elle ajoute par la suite qu’en tant que photographe et femme queer, elle n’a vu qu’une seule fois des femmes se marier habillées autrement qu’en robe. La stylisation vestimentaire cérémoniale est ainsi plutôt hétéronormée et genrée. Une femme (lesbienne) est habillée et coiffée comme une femme. Dans les mariages lesbiens, la différence se situe au niveau du cérémonial, plutôt que de la stylisation : les célébrations sont amputées de la cérémonie traditionnelle où sont portés des vêtements de types traditionnels et lors de laquelle la mariée s’incline devant les parents du marié. Comme dans le cas de Kim Kyu-Jin, ce n’est pas par rejet que cette cérémonie n’a pas lieu, mais surtout parce que les parents ne l’acceptent pas [3].


D’autre part, Sin nous apprend que l’acceptation de couples lesbiens se fait à travers l’appétence financière des entreprises : le pink money est au centre de l’adhésion des deux projets (vendre des services / organiser un mariage). Appelé aussi « pink pound », « pink dollar » selon le marché auquel il est rattaché, le « pink money », limité par un cadre monétaire commun, a été défini comme « tout avantage financier offert par l’homosexualité à des entreprises commerciales » [4]. Les lesbiennes peuvent être refusées par des lieux où leur orientation sexuelle n’apporte pas d’argent additionnel, c’est alors l’homophobie du bailleur qui prend le dessus dans la décision. En revanche, lorsqu’elles deviennent de bonnes clientes potentielles, c’est leur porte-monnaie qui sera l’enjeu et non leur orientation sexuelle. Enfin, à travers l’intérêt commercial qu’il suscite, le pink money créé une valeur positive. Les femmes queer prennent conscience de leur valeur. Alors que les lesbiennes sud-coréennes ont un pouvoir d’achat plus faible que le reste de la population [5] (les femmes gagnent 34% [6] de moins que les hommes en Corée du Sud), elles sont perçues comme une clientèle intéressante dans le secteur du mariage. Elles se posent en exception : elles sont convoitées pour leurs revenus en tant qu’homosexuelles alors même qu’ils ne sont pas élevés. L’occasion d’être considérée comme une « bonne cliente », accompagnée de services et de prestations qui en découlent, en est d’autant plus rare. L’industrie du mariage est ainsi une opportunité pour les femmes de retourner leur stigmate, être lesbienne ne signifie plus un rejet mais un accueil à bras ouverts, la déviance n’est plus un problème mais un avantage. Elle permet ainsi de construire leur identité en tant que consommatrices privilégiées d’un secteur en raison de leur homosexualité.



Marion Gilbert



 

1. L’enquête n’a pas référencé un seul couple homosexuel « international » qui ne souhaite pas se marier dans les années à venir. Il semble par ailleurs que le mariage contracté à l’étranger soit un moyen de stabilisation du couple car il peut jouir de droits conjugaux dans au moins un des deux pays. Cela ne signifie pas pour autant que le mariage s’en suive d’une installation dans un nouveau pays d’accueil. Dans un premier temps, les couples rencontrés en Corée du Sud s’installent dans le pays, bien que des allers-retours soient constatés entre le pays d’origine de la·du conjoint·e étranger·ère.

2. SHIM Yun-Ji, « Na ? namdarŭl kŏt ŏmnŭn han’guk-esŏ sanŭn yubunyŏ lejŭbiŏn », [trad.] (Moi ? Je suis une lesbienne, femme mariée qui vit en Corée du Sud et qui n’a rien de différent des autres), The Kyunghyang Shimun, 21 septembre 2019, page consultée le 12 avril 2020

3. SHIM Yun-Ji, « Na ? namdarŭl kŏt ŏpnŭn han’guk esŏ sanŭn yubunyŏ lejŭbiŏn » (Moi ? Je suis une lesbienne, femme mariée qui vit en Corée du Sud et qui n’a rien de différent des autres), The Kyunghyang Shimun, 21 septembre 2019, page consultée le 12 avril 2020

4. BENGRY Justin Dean, The Pink Pound: Commerce and Homosexuality in Britain, 1900-1967, Thèse en philosophie de l’histoire, Université de Californie, 2010. J’utilise l’appellation de « pink money » afin de référer au concept liant pouvoir d’achat et orientation sexuelle plutôt qu’à son ancrage socio-économique, qui est décrit dans le corps du texte de toute façon.

5. Les politiques sociales de l’Etat ne protègent pas les adolescent·e·s de dérives des parents qui, dans certains cas, cherchent à convertir leur enfant homosexuel, par le biais d’Églises baptistes mais également de thérapies psychologiques. La scolarité devient difficile, les femmes lesbiennes se dirigent davantage vers des cursus professionnels que le reste de la population. Une fois sur le marché du travail, la peur du licenciement en raison de leur identité sexuelle les pousse généralement à accepter des postes précaires.

6. Site officiel de l’Organisation de Coopération et de Développement Economique, rubrique écart salarial 2018, page consultée le 3 avril 2020


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