En ces temps de violent repli petit-bourgeois anti-scientifique, dont l’épidémie de Covid (« le » Covid) a été un exemple aussi flagrant que navrant, nous avons fini par nous persuader qu’il ne fallait céder sur aucun front, même le plus petit (en apparence). Même si les rédacteurs de tan’gun ont une complète liberté d’expression, y compris formelle, cela n’interdit pas de se poser des questions sur les effets même de cette liberté. Tout débat honnête est bon à prendre.
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Une mode ravage aujourd’hui l’université dont la porosité aux influences américaines est chaque jour plus grande, celle de l’écriture inclusive. Chacun a une opinion, comme sur le COVID donc, sans semble-t-il se demander de quel droit (intellectuel) il ou elle a une opinion. Il n’est pourtant pas interdit de s’interroger sur la validité linguistique de cette opinion, dont la nature de mode et qui plus est de mode américaine aurait déjà dû suffire à provoquer l’extinction. Pierre Bourdieu a proposé l’expression de « droit d’entrée », pour décrire le niveau qu’un chercheur doit atteindre pour avoir une opinion autorisée. Et, incidemment, celle de « devoir de sortie », pour désigner l’obligation morale qu’a ce chercheur de diffuser dans la société les résultats de sa recherche, que la société lui a permis de mener. La vulgarisation est sans doute le dernier moyen de lutter scientifiquement contre les opinions auto-justifiées.
Une de nos collaboratrice-traductrice expose par exemple son opinion dans le dernier numéro de tang’un papier sur « Genre et sexualité en Corée », en commettant d’ailleurs la lourde erreur littéraire de vouloir faire dire à sa traduction quelque chose sur les rapports de domination, là où le texte coréen ne le fait pas. Mais nous avons bien sûr conservé ses choix. Et décidé d’en débattre.
Puisque l’argument de fond : le sexe et le genre (grammatical) sont deux choses différentes n’est pas entendu, proposons un raisonnement linguistique à ceux qui s’en dispensent et que nous ne convaincrons certainement pas davantage.
1. Si on n’emploie pas les mots « masculin » et « féminin’, le problème disparaît.
2. La notion de genre grammatical n’est pas universelle, loin de là. Il n’y en a pas en coréen, par exemple.
3. Hormis les bipèdes et les vertébrés, la plupart des mots genrés désignent des objets qui ne se reproduisent pas. Remarque valable aussi pour les termes abstraits.
4. Si donc ce qu’on appelle « féminin » est valable à la fois pour des êtres vivants et de choses inanimées ou impalpables, c’est que la marque grammaticale dite « féminin » désigne quelque chose d’autre et de plus large que le genre biologique.
5. Ce quelque chose est grammatical et n’a pas besoin de relever du sens.
6. Héritier du « latin », le français actuel a hérité de deux de ses genres, pas du neutre, ce qui n’est pas le cas de l’allemand par exemple.
7. Ce qu’on veut appeler « masculin » est un genre non marqué, ce qu’on veut appeler « féminin » est un genre marqué, c’est-à-dire qui possède une terminaison spécifique.
8. Cette terminaison apparaît dans le cas des animés, puisque le « féminin » est le genre qui ajoute une terminaison au « masculin ».
9. En vertu des règles analogiques, les mots inanimés possédant une terminaison analogue sont aussi appelés « féminins ».
10. La prédominance du « masculin » n’est en rien une règle patriarcale, mais le simple fait de l’analogie, les mots « masculins » étant plus nombreux. Voilà pourquoi on accorde les énumérations sur le masculin, qu’il s’agisse d’animé ou d’inanimés.
Pour le reste, c’est-à-dire la forme des féminins des animés, comme auteure-autrice, c’est là encore très simple : l’usage qui décidera.
Et notre titre ? Malgré les apparences, la tablette n’est pas la fille de la table et du tableau.
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