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Writer's picturePatrick Maurus

édito mars 2023


Crédits: Pyongyang s'amuse, Arte



Faire du terrain en Corée du Nord


Comme Daniel Gordon et Nicholas Bonner avant nous, avec par exemples The Game of their Lives, Les demoiselles de Pyongyang ou Comrade Kim goes Flying (avec Kim Gwang Hun et Anja Daelemans), nous avons montré, nous semble-t-il, que la fatalité du « On ne peut rien montrer de ce pays totalitaire » n’était pas si fatale. Contrairement à ce que pensent ceux qui font certainement visiter leur cave à leurs invités, ce n’est pas qu’ « ils » ne montrent pas ce qu’ils veulent, mais qu’ils ne montrent pas ce qu’ils ne veulent pas montrer, ce qui n’est pas du tout la même chose. Mais l’idée qu’il puisse se passer quelque chose de « normal » en RPDC semble en rendre certains malades. Quand on se rend sur youtube, notre film Pyongyang s’amuse (avec Pierre-Olivier François) est accompagné d’un court-métrage (qualifié de dessin animé) dont le seul but est de le commenter, de le compléter, puisque nous avons de toute évidence oublié de rappeler quel pays totalitaire est la Corée du Nord. Une nommée Sabine Ledésert, inconnue au bataillon, nous y explique ce qu’on nous y a caché, mais qu’elle connaît ! Ca s’appelle même « Les infos clés sur : La Corée du Nord s’amuse ! » La leçon est simple : Le film ne montre pas tout ( !) et a oublié la famine, alors l’auteure de dessin animé, qui n’a jamais mis les pieds sur place, complète et rectifie, à grand renfort de dessins et de voix off. Cité dans le film, je suis même convoqué dans la bibliographie finale, comme si j’assumais son propos. Cela s’appelle une escroquerie intellectuelle. D’où sort-elle ? Du même producteur, Arte !


Est-ce à dire pour autant qu’il est facile de filmer au Nord ? Non, surtout si l’on décrète dès le départ que c’est impossible. Mais personne n’est condamné au reportage de trois jours tourné devant l’hôtel Koryo avec un journaliste sortant d’un passage souterrain comme s’il revenait des enfers ! Nous avons pour notre part, à tan’gun, privilégié deux démarches. Nous rendre régulièrement sur place et travailler avec des Nord-Coréens. La première garantit la validité des comparaisons (le même objet au même endroit), la seconde autorise des expériences dynamiques. Au lieu de se contenter de poser des questions (c’est toujours utile) et s’efforcer de décrire un univers statique commenté par des accompagnateurs pas toujours bien lunés - comme nous -, on fait quelque chose, on crée quelque chose, avec des Nord-Coréens. Livres, films, cours, pour commencer.


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“Ce n’est pas qu’ « ils » ne montrent pas ce qu’ils veulent,

mais qu’ils ne montrent pas ce qu’ils ne veulent pas montrer,

ce qui n’est pas du tout la même chose.”

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Les commentaires, jusque dans les romans, surpolitisent la RPDC pour démontrer qu’elle n’est que politique (une mauvaise politique, naturellement). Un journaliste parmi cent, que je ne me lasse pas de citer, nommé Roger Carmichael, réussit à nous dire, à propos d’un golf, dans The Independant on Sunday (18.11.2004) que « L’Etat stalinien le plus dur de la planète, qui vient de subir quatre ans de famine, possède un 18 trous, un vrai, protégé par une armée de terre de 1 million d’hommes, par cinquante ans d’isolement international et par une menace nucléaire qui met l’Asie sur les dents. » On peut tout dire de la RPDC, du moment qu’elle a tort. Notre journaliste a ainsi eu affaire à des guides anglophones qui « soûlent les visiteurs de kimchi (une boisson très forte à base chou fermenté) et de statistiques. » Le kimchi, une boisson ?! On commet tous des erreurs, celle-là est énormissime. On est en droit de se demander si ce monsieur a même « fait du terrain » en Corée du Nord. Il l’affirme, c’est pire. Le problème ? Trop souvent, ceux qui vont en RPDC et ceux qui n’y vont pas disent… la même chose. Cela devrait leur poser des questions.


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"A tan’gun, [nous avons] privilégié deux démarches.

Nous rendre régulièrement sur place et travailler avec des Nord-Coréens."

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Le plus grave n’est pas la bêtise crasse du commentaire ruisselant de lieux communs, (« Comment se fait-il que ce régime communiste présente la consommation comme une réussite ? ») c’est la prétention répétée à dire la RPDC à sa place et à la parer de tous les problèmes. A l’instar de certains rédacteurs du Faire du Terrain en Corée du Nord. (suite à une enquête financée par l’ANR, l’Ecole française d’Extrême-Orient, le laboratoire Chine-Corée-Japon et le Centre de Recherche Corée de l’EHESS. Ouf !), habitués des courts séjours à l’hôtel, plus habitués encore à rouler pour la Corée du Sud (leur leader, autrefois marchand de fromage et artiste, a même été jusqu’à tenter de faire interdire un roman nord-coréen en France*, un roman écrit avant la division par l’immense Pak T’aewôn !) ils ont recours à une grande manipulation formelle, une originalité formelle destinée à répondre à l’étrangeté du séjour en RPDC. Et qui permet de s’affranchir de toutes les règles scientifiques. Le présupposé est le même, « état totalitaire ». Il semble que Koen de Ceuster, ce n’est pas étonnant, ait été le seul à en tenter une définition. Pour les autres, hormis Yannick Bruneton, c’est une évidence. Soit le contraire exact de la recherche.


Ce volume, comme l’idéologie définie par Althusser « a réponse à tout ». La présentation des résultats supposés n’a aucun sens ? C’est la faute des Coréens. Cas exceptionnel en anthropologie, c’est le terrain qui a tort ! Cela s’appelle « questionner tous les protocoles classiques ». Normal, ils ont tellement souffert de « pressions psychologiques ». De qui se moque-t-on ? L’important est de pouvoir s’autoriser à écrire « Nous arguons qu’il est possible de livrer du savoir sur la Corée du Nord et de la réflexion critique dans nos champs, de manière décalée, parfois provocatrice : avec des textes absurdes, un glossaire du terrain à Pyongyang, des extraits de nos journaux de terrain, la restitution des courriels très bizarres que nous échangeons en préparant les voyages, des confessions aussi. Enfin, en racontant nos déboires dans de petites bandes dessinées qui nous projettent dans le rôle des Candides de l’histoire. »


Donc ?

Passez votre chemin et lisez Koen de Ceuster** ou Philippe Pons*** (parmi les francophones). Ou bien inscrivez-vous à un voyagestangun.com, pour visiter des lieux que vous avez compétence à évaluer.

*Une journée du romancier monsieur Kubo, Pak T'aewôn, UGA éditions
**Exploring North Korean Arts, Verlag für moderne Kunst
*** Philippe Pons, Corée du Nord. Un État-guérilla en mutation, Gallimard

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