Sorti en salle il y a une semaine après une vie en festivals, le film de David Chou expose la rencontre entre Freddy (Park Ji-min) et la Corée du Sud, soit celle d’une Française adoptée et de son pays d’origine. Sans être formellement irréprochable, l’œuvre a l’intérêt de montrer son sujet et son cadre avec justesse.
©Retour à Séoul
Le film s’ouvre non pas sur une image, mais sur une musique sud-coréenne dont le son est calfeutré. Le premier plan montre une jeune femme l’écoutant à l’aide d’un casque. Une seconde intervient (Freddy) et lui demande en anglais si elle peut le lui emprunter. Le volume sonore s’amplifie jusqu’à ce qu’elle repose le casque, ajoutant qu’elle a apprécié.
En moins d’une minute, cette séquence pose plusieurs éléments clés. On apprend qui est la principale protagoniste, ce qu’elle vient faire (découvrir) et qui sera son intermédiaire.
Le morceau, aussi utilisé comme thème principal, est évocateur bien que le sens échappe à Freddy ainsi qu’à une partie de l’audience. Pétales de Shin Jung-hyeon est un titre phare de la collaboration entre le guitariste et la chanteuse Lee Jung-hwa, sortie en 1969. Les paroles jouent sur l’image contradictoire d’une floraison rappelant un souvenir d’abandon. En plus de plonger dans la jeunesse de ses géniteurs, Freddy entend le déroulé programmatique de son voyage.
Ce déroulé évite deux écueils. Celui d’une revue de clichés éculés sur la Corée du Sud et d’une rencontre libératrice avec la famille d’origine.
Contrairement à la plupart des films et séries mettant en scène un·e étranger·e découvrant le pays, aucun plan n’a de valeur de carte postale et aucune séquence ne montre le personnage principal avoir un usage touristique de la Corée du Sud.
Cette économie permet à David Chou de distiller sans didactisme des informations réalistes selon les besoins du scénario. On voit un urbanisme uniformisé sur l’ensemble du pays, des fossés générationnels, le fonctionnement d’une famille nucléaire classique, l’importance du christianisme d’influence évangélique, ou bien un père démissionnaire abîmé par son contexte socio-politique. Ce dernier motif n’est évidemment pas caractéristique mais reste récurent dans les fictions coréennes et est présenté ici similairement.
Les scènes les plus intéressantes à observer sont celles où Freddy utilise l'administration publique afin de retrouver ses géniteurs. Le réalisateur prend en effet le temps de montrer en détail un fonctionnement rodé (les bureaux de Séoul et de Jeonju sont identiques). Son personnage consulte des statistiques sur le nombre d’enfants adoptés ; ces dernières étant expliquées par la guerre de Corée (1950-1953) alors que l’un des pics est situé dans les années 1980. Tout ceci suggère intelligemment l’ambivalence entre un fait de société établi et ses tabous.
L’autre réussite du film sont les premières scènes de retrouvailles. Ces séquences désacralisent l’idée qu’elles permettraient d’achever voire d’entamer une quête de sens. Elles montrent à la place une incompréhension totale, accrue par les erreurs d’interprétariat dont seul le spectateur saisit les effets. Il est par ailleurs toujours intéressant de montrer des personnages qui, incapables d’échanger par le langage, communiquent autrement, (voire autre chose). Un bref plan est par exemple dédié à la grand-mère faisant comprendre impétueusement à Freddy comment manger son samgyet’ang, brisant maladroitement l’immobilisme qui lui pèse d’un moment où personne n’est assez serein pour profiter du repas. En comparaison, les échanges avec la tante parlant anglais sont à juste titre moins chargés émotionnellement car moins expressifs.
Si ces éléments sont réussis grâce à leur narration intuitive, le reste est malheureusement plus scolaire.
Par exemple, le passage du temps est régulièrement souligné par les artifices classiques des encarts affichant le nombre d’années écoulées et des changements de look appuyés, comme si Freddy nous était réintroduite à chaque étape de sa vie. On en vient à faire des calculs linéaires dans le récit d’un cheminement mental tortueux.
La caméra est également trop attentive à son personnage au détriment de son environnement. Peut-être, l’objectif du film est de proposer un récit qui ne se limite pas à un pays, mais la découverte sensorielle reste importante dans un processus d’appropriation. On ne sait jamais si Freddy apprécie ou non la Corée du Sud en dehors de son ressenti familial.
Une brève séquence la présente en observation. Elle regarde les passants, on se demande avec elle s’ils sont étrangers ou familiers. Ce type de respiration est rare, préférant celles observant silencieusement l’actrice. Mais par leur fréquence et leur disposition aléatoire, ces moments ne font ni évoluer le récit, le personnage ou bien la compréhension du spectateur et finissent par alourdir la narration.
Cette focale est néanmoins significative lors de trois scènes parmi les plus réussies du film où la comédienne brille par son énergie. On pense ici au gros plan qui lui est dédié lorsqu’elle rencontre sa mère biologique, cette dernière restant dans le flou de l’arrière-plan, accentuant qu’elle est et restera un fantôme. Les deux autres scènes, tout en mouvement, montre Freddy qui, en cherchant à expérimenter son identité dans la marge de ce qu’on lui propose, pousse la caméra à élargir le cadre pour la suivre dans la reconfiguration d’une salle de restaurant et d’une danse.
Avant cette danse, le morceau diffusé dans le bar est encore de Shin Jung-hyeon : Belles rivières et coucher de soleil, ode lyrique aux paysages coréens. Encore une fois, Freddy précise l’apprécier mais elle demande au DJ de l’arrêter pour faire place à ses choix. La séquence se clôture par la rupture amicale avec son intermédiaire, en réponse à la première scène.
Malgré une mise en scène attentiste et des éléments narratifs parfois trop schématiques, Retour à Séoul reste réussi et pertinent pour nourrir un intérêt à la Corée du Sud. Parmi les œuvres culturelles relatives au pays et bénéficiant d’une bonne diffusion, le film occupe une place équilibrée et parfois rare entre le Hell Joseon et le fantasme scintillant, grâce à son envie de justesse empruntant presque au documentaire.
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