La Corée du Sud a lancé un visa nomade qu’il est possible de demander à partir du 1er janvier 2024.
© Camille Fourmeau
Les aventuriers du numérique
À l’international, ce nouveau type de visa a été pensé et créé après la période Covid-19 qui a généralisé le télétravail. L’idée est simple, attirer des actifs étrangers qui peuvent travailler de n’importe où afin qu’ils consomment dans un pays donné. Tous types de travailleurs à distance, qu’ils soient en télétravail et rattachés à une entreprise ou qu’ils soient « free-lances » peuvent généralement en faire la demande. Cette population, appelée « nomade numérique » est friande de ce visa qui permet de changer de mode de vie, d’explorer de nouvelles cultures et de voyager sur une longue durée. Néanmoins, il existe un certain nombre de critères à remplir pour obtenir le graal. Le Costa Rica a été un des premiers à lancer un visa nomade. Pour en faire la demande, il faut justifier d’un revenu constant de minimum 3 000 $ US par mois et rester 12 mois sur le territoire. Il faut également justifier de la souscription à une assurance tout risque et verser 100 € de frais administratifs. La somme paraît importante, mais le Costa Rica exempte ses nomades d’impôts, donc si vous rattachez votre résidence fiscale au Costa Rica, vous ne paierez pas les charges sociales demandées par l’URSSAF qui grignote environ 25 % sur le chiffre d’affaires d’un indépendant, ni l’impôt sur le revenu en France. Le visa nomade se traduit par une relation win-win entre des états désireux d’attirer une population relativement aisée pour booster l’économie locale et des travailleurs-voyageurs en quête d’aventures et de sens.
De nombreux pays ont ouvert ce type de visa aux nomades digitaux du monde entier, comme le Portugal, la Croatie, les Émirats arabes unis, les Bahamas, la Barbade, le Panama, la Colombie, le Brésil, la Malaisie, la Thaïlande, l’Indonésie, Malte, la Grèce, Chypre, etc. Hormis quelques pays du nord de l’Europe comme la Norvège ou la Lettonie, la majorité se trouve dans des zones paradisiaques qui voient déjà affluer des touristes en temps normal, presque en toutes saisons. Ce qui attire, ce n’est pas seulement ce qui a été développé plus haut, mais aussi et surtout la plage, la mer, la chaleur. Le nomade devient une sorte de Robinson Crusoé orientaliste, à la différence qu’il a son ordinateur sur ses genoux pendant qu’il bronze sur le sable.
Hallyu et plus si affinités
Mais alors, que vient faire la Corée du Sud là-dedans ? Il est indéniable que le pays attire de plus en plus. Il est faux de dire que seule une poignée de jeunes experts en K-pop connaissent la Corée. La vague coréenne (hallyu) continue de déferler dans le monde à des degrés plus ou moins différents selon les milieux sociaux et les domaines concernés. On peut être à la retraite, tomber par hasard sur un drama historique coréen diffusé par Netflix, accrocher et s’intéresser de plus en plus à ce type de séries. La nourriture coréenne commence à devenir omniprésente à Paris où on a l’impression qu’un nouveau restaurant coréen ouvre chaque semaine, ce qui n’est pas tout à fait faux, puisqu’on en compte en 2024 près de 300 rien qu’en Île de France ! La Corée n’est plus simplement un pays, elle devient une marque qui intéresse les Picsou en quête de profits, comme on peut le voir avec les licences webtoons qui génèrent une bulle spéculative bientôt prête à éclater. Il n’est pas nécessaire de mentionner la K-pop, que vous entendrez chez Sephora, ou même à la télé française si vous prêtez l’oreille. La Corée est présente dans le quotidien, elle attire. Elle sait se vendre comme un eldorado de divertissements qui font oublier le Hell Joseon et la réalité de millions de Coréens, pour qui la vie n’est pas toujours très amusante.
Le visa nomade pour la Corée du Sud était attendu depuis plus d’un an avant sa création. Un groupe informel nommé « Digital Nomads Korea » existait sur les réseaux sociaux avant même que l’annonce officielle soit faite, regroupant déjà quelque 3 000 personnes.
Dis-moi que tu es xénophobe, mais sans le dire
Décembre 2023, ça y est, le gouvernement affirme qu’il sera possible de demander le visa, mais la joie qu’a fait naître cette déclaration chez certains n’aura été que de courte durée. Premier problème, les indépendants (ou free-lances, qui représentent la grande majorité des nomades digitaux) ont été jetés aux oubliettes. Seuls les employés en télétravail, c’est-à-dire les salariés qui justifient d’un contrat de travail signé par une entreprise étrangère, sont éligibles. Or, travailler dans une entreprise nécessite d’être connecté aux mêmes heures que ses collègues. Si le bureau est en Europe, mais que le salarié est en Corée du Sud, il devra travailler aux heures européennes, en pleine nuit pour la Corée. S’il se trouve sur la côte ouest du continent américain, il y aura également un décalage. Qui accepterait des conditions de travail pareilles ?
Deuxième problème, les revenus exigés. Il faut avoir gagné 66 000 $ US en 2023, soit deux fois le PIB par habitant sud-coréen, pour être éligible. Jusqu’alors, le pays qui demandait les revenus les plus élevés pour un nomade était les Émirats arabes unis (5 000 $ US/mois). Néanmoins, cela s’inscrit dans une politique impulsée par Dubaï qui souhaite attirer les entrepreneurs du monde entier en comptant sur une stratégie de défiscalisation. Sa position géographique est un atout pour des entreprises qui souhaitent se développer en Asie ou en Europe. Ce n’est pas le cas de la Corée du Sud qui s’est trompée de cible. D’une part, elle n’offre pas d’avantage fiscal aux nomades. D’autre part, les personnes qui mordent à l’hameçon hallyu sont monsieur et madame tout le monde. En France, d’après une enquête de l’Observatoire des inégalités, on entre dans le top 10 % des hauts salaires à 4 170 euros mensuels. On peut imaginer que les personnes qui gagnent tant sont plutôt en fin de carrière, donc plus âgées, et moins enclines à partir à l’aventure en Corée du Sud. En effet, ce sont surtout les jeunes qui sont la cible du hallyu et qui ont envie de passer un peu de temps dans ce pays qui les fascine. Ce n’est donc pas étonnant si en janvier en Corée du Sud, seules 7 personnes ont effectué une demande de visa nomade ironiquement surnommé « visa hallyu ».
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