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Niky Guillon

Le massacre de milliers de « sans-abris » au nom du miracle économique sud-coréen


Tandis que les Jeux olympiques d’hiver auront lieu en 2018 à Pyeongchang, la Corée du Sud, terre d’accueil des Jeux olympiques en 1988, se voit entachée par un scandale qui refait surface, suite à la publication d’un article par The Associated Press datant du 19 avril 2016.


Officiellement, 513 personnes auraient été tuées entre 1975 et 1986 dans le cadre d’une purge visant à nettoyer les rues des éventuels « sans-abris ». Cette purge a été initiée par une directive du président Park Chung Hee, dictateur au Sud entre 1962 et 1979 et père de l’actuelle présidente Park Geun-hye. Celle-ci a été poursuivie par Chun Doo -hwan, lui-même arrivé au pouvoir à la suite d’un coup d’État renversant Park Chung-hee. En réalité, le bilan s’élèverait à plusieurs milliers de morts, et les soi-disant « sans-abris » auraient été pour la plupart des enfants laissés sans surveillance, des vagabonds, des dissidents, des handicapés ou encore des marchands de rues, en d’autres mots des personnes s’étant trouvées au mauvais endroit au mauvais moment. Parmi les 36 installations ayant accueilli ces « sans-abris », la plus grande était située à Busan et se nommait Brothers Home (la Maison des Frères, ou 형제복지원 en coréen). Elle contenait plus de 4 000 détenus.

Cette purge visait en réalité à fournir une main-d’œuvre gratuite, à une époque où le développement économique de la Corée du Sud était la priorité du gouvernement. La Corée du Sud souffrait à cette époque d’une extrême pauvreté et essayait de rivaliser tant bien que mal avec le Nord qui s’en sortait alors beaucoup mieux qu’elle. Cette directive n’était pas non plus sans rapport avec la pression liée à l’accueil des Jeux olympiques en 1988, qui se devait de symboliser l’accession de la Corée du Sud au statut de puissance économique pesant son poids sur la scène internationale. C’est ce que l’on appelle à présent le « miracle économique coréen ». Cet événement amène à repenser les arguments avancés par l’analyse occidentale, qui met beaucoup trop souvent en avant l’idéologie « confucianiste » comme étant le moteur premier de ce miracle économique. Et ce d’autant plus lorsque l’on sait que le peuple coréen a été largement sacrifié au cours de ce processus. La littérature en parle d’ailleurs très bien, et l’on pourrait citer à ce titre Le Nain, œuvre littéraire écrite par l’écrivain sud-coréen Cho Sehui et publiée en français grâce à la traduction de Patrick Maurus chez Actes Sud en 1995. L’ironie faisant bien les choses, la plupart des marchandises conçues au sein de ces camps étaient destinées à l’exportation : filets de pêche destinés au Japon dans les années 70, puis sneakers et vêtements expédiés aux États-Unis et en Europe dans les années 80.

Au programme : de l’esclavagisme, de la torture, des viols et des meurtres sur une majorité d’enfants mineurs. Le tout a été orchestré sous couvert de « projet social » par le directeur de Brothers Home Park In-keun, lui-même en étroite relation avec les instances du gouvernement. En 1985, un feuilleton télévisé inspiré du directeur a été diffusé en hommage à sa vie, dédiée à aider les « gens du peuple ». Il a aussi été récompensé par deux médailles d’états pour son action sociale.

En 1987, le procureur Kim de la ville d’Ulsan découvre le pot au rose tandis qu’il chasse le faisan. En effet, il tombe par hasard sur des hommes surveillés par des gardes et des chiens en train de construire un ranch pour le propriétaire de Brothers Home. Un soir de janvier 1987, le procureur Kim mène un raid surprise à Brothers Home, accompagné de dix policiers. Park In-keun est arrêté. Quelques jours plus tard, le maire de Busan plaide pour que Park soit relâché. Le procureur Kim refuse, mais il subira sans arrêt la pression de personnages hauts placés au cours de son enquête. Le président Chun Doo -hwan ne souhaite surtout pas qu’un scandale supplémentaire éclate à la veille des Jeux olympiques. En 1989 le directeur de Brothers Home se voit finalement condamné par la Cour Suprême à deux ans et demi de prison pour fraude fiscale et autres méfaits secondaires, alors que le procureur Kim avait réclamé une peine de quinze ans. Seuls deux gardes recevront respectivement un an et demi et huit mois de prison ferme. À l’heure actuelle Park In-keun et sa famille continuent à gagner de l’argent grâce à son activité dans le social. Il nie en bloc toute accusation.

Les victimes de cette purge n’ont jamais été entendues, ni reconnues ou dédommagées. Malgré les demandes des victimes qu’une enquête soit menée afin de lever le voile sur les atrocités commises à Brothers Home, le gouvernement a refusé. Les preuves seraient à présent trop vieilles et une enquête de ce genre entraînerait un trop grand coût. Ahn Jong-tae, l’un des membres du ministère de l’Intérieur a déclaré à ce propos « Nous ne pouvons pas faire des lois au cas par cas pour chaque incident : tellement d’incidents ont eu lieu depuis la Guerre de Corée ». Les excuses avancées par le gouvernement ne rappellent que trop à notre mémoire le refus de celui-ci à mener une enquête sur le naufrage du ferry Sewol.


Quand la Corée du Sud sera-t-elle enfin capable de se débarrasser de ses fantômes et de les livrer à la lumière du jour ?

Source / The Associated Press


Niky Guillon

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