A l'occasion de la sortie du Dictionnaire historique et culturel des Corée(s), l'équipe Revue Tangun vous propose une interview de leurs coordinateurs: Younès M’Ghari et Patrick Maurus.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
C’est toute l’équipe qu’il faut présenter, composée essentiellement de membres de l’association CRIC-tangun (revuetangunpro@gmail.com) et de rédacteurs qui connaissent la péninsule. Donc 19 personnes, c’est une garantie que la palette des centres d’intérêt personnels sera assez large pour correspondre à une surface culturelle suffisamment étendue. Je dois ajouter qu’à aucun moment nous ne sommes tombés dans le travers de l’exhaustivité, par définition inatteignable. Notre équipe a en général étudié le coréen, quelquefois aussi au Nord, et connaît le terrain. Avec autant de collaborateurs, les marottes et les obsessions de chacune et chacun deviennent une richesse, car elles complètent celles des autres.
Techniquement, nous sommes respectivement doctorant et professeur émérite. Et comme tous les membres de notre association, soumis à une règle, celle des sources de première main.
En quoi ce dictionnaire est-il innovant ?
D’abord par l’expression la ou les Corée(s). Qui connait la ou les Corée(s) ? Certainement pas ceux qui disent systématiquement « la Corée » pour parler du seul Sud, le plus souvent sans même réfléchir.
Ensuite, mais c’est contenu dans l’idée « des » Corées, nous avons tenu compte de l’existence de trois Corées, ce qui surprend toujours, alors que cette ignorance nous surprend nous. Mais la culture coréenne, sur un tronc commun, d’une part en croise d’autres, américaine, japonaise, chinoise, russe, d’autre part se sépare en branches franchement distinctes. Je ne prends qu’un exemple, mais très lourd, la question de la division. Si elle marque le Nord et le Sud en termes à peu près contraires, elle ne concerne pas la ‘Corée chinoise’, et marque les diasporas de façons très différentes. Mexico n’est pas Los Angeles, Tokyo n’est pas Vladivostok.
A quel public s’adresse ce dictionnaire ?
Je suis sûr que notre éditeur, Ellipses, voudrait que je réponde « tous publics » ! Et il aurait raison ! Mais je ne crois pas que c’est notre dictionnaire qui définit ses lecteurs, ce sont les pratiques des différents publics. Les amateurs de littérature(s), les voyageurs ou les plus jeunes friands de K-pop ne cherchent pas la même chose. Cependant tous pourront trouver leur bonheur dans cet ouvrage.
Comment avez-vous choisi les entrées de ce dictionnaire ?
Ce sont elles qui nous ont choisis… Pour comprendre, il ne faut pas oublier l’évidence, à savoir qu’il s’agit d’un dictionnaire sur les Corées écrit principalement par des Français, à destination d’un public francophone. Pas nécessairement de convaincre un public coréen, qui, sera possiblement hostile, nationalisme oblige. En commençant par des entrées incontournables, Koryŏ, Kim So-wŏl, Kim Il Sung, langue coréenne, hanmun, trésors nationaux, protestantisme, etc. Le reste est venu presque sans douleur. Le véritable problème de choix n’était pas de partir de rien, mais au contraire de sélectionner parmi trop de sujets. Comment ? En choisissant ceux sur lesquels la base des informations était la plus solide.
Quelles ont été vos sources pour parler de sujets aussi variés ?
Je vous rappelle que les rédacteurs sont nombreux. Donc la réponse la plus simple serait : à chacun ses sources. Mais la vérité oblige à dire que les options (validées) des rédacteurs ont eu d’autant plus tendance à converger qu’ils connaissaient mieux les Corées. C’est particulièrement valable pour le Nord. En tout cas, nos sources, contrairement à celle de bien des médias, sont de première main.
Quelles ont été vos méthodes de travail ? Comment avez-vous écrit ce livre ?
Un peu chacun sa méthode, librement, même si en fin de course, il nous a fallu réduire le volume de certaines entrées. Chaque auteur avait entière liberté. Par ailleurs, un certain nombre d'entrées ont également été le fruit de la collaboration de plusieurs auteurs, ce qui a permis un enrichissement des contenus à la fois en termes quantitatifs et qualitatifs.
Vous êtes déjà à l'origine d'un dictionnaire bilingue français-coréen (Nord-Sud), que représente ce dictionnaire culturel pour vous ?
Disons qu’à eux deux, ils forment un début d’encyclopédie. Modeste. L’idée directrice est celle d’une sorte de mode d’emploi des cultures coréennes, essayant de contrebalancer les évidences débitées à longueur de journée par tous ceux qui s’autorisent de parler des Corées sans faire d’effort. Nous aurions réussi si ceux qui lisent telle ou telle entrée sortaient de leur lecture avec plus de questions que de réponses.
Que pensez-vous de l'engouement général pour la Corée ?
C’est un fait à considérer sans jugement. Il a bénéficié d’un certain rejet de la Chine, d’une sorte de ‘fatigue du Japon’, et surtout d’une vie culturelle réellement riche. Cependant les consommateurs de Corée du Sud ont tendance à oublier que cet engouement a une histoire, commencée par la littérature et poursuivie par le cinéma, bien avant les dramas et la K-pop. C’est l’intérêt de notre rédaction plurielle que de réunir des chercheurs variés, qui n’ont pas eu besoin d’être ni des spécialistes ni des consommateurs de chaque domaine. Même si on peut déplorer que les nouveaux arrivants sur le marché se contentent des derniers phénomènes et ne cherchent guère à approfondir leurs connaissances via la lecture. A leur décharge, le niveau de plus en plus médiocre des traductions, dont la cause principale est la politique de subventions à tout va de la Corée du Sud. Mais pour s’en rendre compte, il faut d’abord lire…
Des regrets ?
Oui, de ne pas avoir eu mille pages. Non, sérieusement, d’avoir été handicapés par le covid, qui nous a empêchés de faire certaines vérifications et d’aller chercher davantage de collaborateurs, ce qui nous a obligé de mettre certaines entrées de côté. Ce sera pour la réédition !
Un souhait ?
Oui, lors d’une réédition – lointaine – pouvoir travailler conjointement avec des chercheurs coréens d’un peu partout. C’est-à-dire un jour où personne ne se sentira possesseur d’un savoir (contre les autres) ou obligé de peindre son pays uniquement en rose. Autrement dit, cette édition sera sûrement de la responsabilité de nos hubae (on vous laisse chercher l'entrée correspondante)…
Un dernier mot ?
Bien sûr : notre travail a grandement profité des illustrations de Johanna Chmakoff et de l’expertise de Pierre Cambon, qui a œuvré tant d’années au musée Guimet. Sans son savoir encyclopédique sur les arts coréens, notre dictionnaire n’aurait jamais vu le jour.
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