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«Dictionnaire historique et culturel des Corée(s)», Quelques mots, en guise de présentation...

Pierre Cambon


Corée, une histoire compliquée et quelquefois cryptée:

 

La Corée est tendance en France, à l’heure actuelle. On ne compte plus les restaurants coréens à Paris, les expositions en France d’art contemporain coréen. Le cinéma est reconnu, la littérature traduite du Nord au Sud, et Séoul fait référence dans le domaine informatique ou dans celui de la K-pop. Mais, le phénomène est récent et renvoie à l’ouverture au monde de la République de Corée en 1988, avec les Jeux Olympiques à Séoul, ou la chute du mur de Berlin, en 1989. Un phénomène similaire s’était produit avec le Japon et les jeux olympiques à Tokyo en 1964. Mais le Japon s’était ouvert bien plus tôt, dès la révolution Meiji (1868) et la Chine est connue en France dès le XVIIe siècle, voire dès Marco Polo et la Route de la Soie ou bien l’Antiquité. Longtemps d’ailleurs la Corée n’a pas toujours eu bonne presse à Paris, sur fond d’affrontement des deux blocs.

 

Elle avait, en outre, du mal à être identifiée, en partie du fait de la partition, suite à la guerre de Corée (1950-1953), avec au Nord un état communiste se référant, à sa manière, à l’URSS ou à la Chine populaire, au Sud un état sous régime militaire qui se rallie aux Etats-Unis d’Amérique, tout en entretenant avec le Japon des rapports pour le moins ambivalents, du fait de la colonisation (1910-1945), soit deux états qui se font face, de part et d’autre d’une frontière virtuelle où l’on ne passe pas, à la différence de Berlin au temps de la division, puisqu’il s’agit d’une zone démilitarisée qui acte le cesser le feu entre les deux Corée, soit l’arrêt des combats et non un traité de paix - tout cela, sans même parler des communautés coréennes hors de Corée, en Chine, au Japon, en Russie ou aux Etats-Unis, voire en Europe occidentale, et notamment en France, qui, chacune, a une histoire quelque peu différente. 

 

A cela s’ajoute le fait que si la Corée n’est pas chinoise, sa référence culturelle est chinoise, depuis l’époque des 3 Royaumes (Ier-VIIe siècle), d’où la difficulté pour un occidental à identifier très clairement ce qui est proprement coréen, quand les sources ou bien les inscriptions sont toutes en caractères chinois, du moins jusqu’à la partition, puisque le Nord a aboli depuis l’usage des caractères chinois, comme le fera plus tard le Vietnam, sous régime communiste. Un dictionnaire historique et culturel sur la Corée, ou les Corée, est donc le bienvenu pour donner quelques clés tant l’histoire est complexe, même si elle a sa logique, tant la péninsule multiplie les paradoxes tout au long de l’Histoire, tout comme la France d’ailleurs, qui tout en ne reconnaissant pas le Nord, abrite, en revanche, à Paris, la délégation de la RPDC, ainsi que  l’Unesco, où les deux Corée ont chacune leur représentation.

 

Malgré sa position stratégique au coeur de l’Asie du Nord-Est, entre des voisins particulièrement redoutables, la Chine, le Japon, la Russie, la Corée, néanmoins, a survécu, au fil des siècles, contre vents et marées, et ses voisins l’ont reconnu comme telle, même si, paradoxalement, il n’y a, pas  de mot en coréen, aujourd’hui, pour dire simplement «coréen». On dit «Hanguk saram» à Séoul, «Choson saram» à Pyongyang, chacun se référant à une histoire différente - «Taehanminguk» à Séoul, dérivé de «Taehanjaeguk» ou l’Empire de Corée (1897-1910), qui entend se démarquer de la Chine; ou «Choson» à Pyongyang, qui reprend l’appellation des Ming sous la dernière dynastie, «le pays du matin clair», appellation qui sera utilisée par le Japon, à l’époque coloniale, sous la forme «Chosen» - un pays sans frontière et un pays sans nom, la Corée accumule les difficultés pour mieux l’appréhender.

 

Corée, une découverte qui mériterait de se voir conforter:

 

Pourtant, on connaît mieux en France la situation actuelle de la péninsule coréenne que l’arrière-plan historique sur lequel il repose. On ignore ainsi que la Corée s’est auto-christianisée à l’école de la Chine, avant l’arrivée des missions étrangères des missions étrangères de Paris, que ce mouvement s’inscrit à la suite du mouvement Silhak, ou «la Science du réel», au siècle des lumières, soit le XVIIIe siècle, où le néo-confucianisme est remis en question, à la suite de la double faillite que constituent l’invasion japonaise au XVIe siècle, puis les incursions mandchoues au XVIIe siècle. On ignore aussi que la Corée, depuis l’unification Silla, au VIIe siècle, est de facto sous la protection de la Chine, qui a défait son rival Koguryo. Le Japon aura beau jeu, en 1894, de libérer la Corée de la Chine, pour mieux pousser ses intérêts, d’autant qu’il existe un lien de filiation entre Corée et archipel nippon.

 

Enfin, on ne se préoccupe pas, à Paris, de souligner l’originalité de la manière minhwa, cet art décoratif à la fin de Choson, ce que le Japon a fait à l’époque coloniale, d’autant que cette manière échappe aux esthétiques chinoise et japonaise et joue l’avant-gardisme, avant même l’Europe occidentale et les débuts du modernisme européen. La vision française de la Corée est trop souvent celle d’un pays confucéen et quelque peu figé, sans comprendre réellement ce qu’est le confucianisme, alors que les systèmes français et coréen sont en fait proches, sur le plan politique - un système centralisé et très hiérarchisé, qui mise son développement sur l’apologie de la culture et de la méritocratie. Il existe ainsi une académie à Paris et un «bureau des Arts» à Séoul, un culte de la peinture, de la littérature ou de la poésie. Mais, la France a une prétention à l’universel, que la Corée n’a pas et ne cherche pas à avoir.

 

La découverte de la Corée en France, sans connaître ses codes, est donc inattendue, au risque quelquefois d’une erreur d’analyse, alors que la péninsule juxtapose les apports étrangers sans les neutraliser, du confucianisme au bouddhisme, sans oublier le christianisme, sur fond de chamanisme, teinté de taoïsme. Alors que les artistes coréens étaient fascinés par Paris, symbole de culture et de modernité, à l’issue de la guerre de Corée, mais aussi d’une voie différente, la France tombe ces jours-ci sous le charme de «l’Italie de l’Est», entre goût de l’ailleurs, technologie et tradition, rigueur et fantaisie, qui ne va pas non plus sans un goût pour l’humour et le mélange des genres, théorie bibimpap..., en oubliant parfois l’omniprésence du passé, les menaces de tous ordres, l’équilibre fragile, voire le souvenir d’attentats meurtriers et des tentatives de déstabilisation qui sont restées sans suite.

 

Il y a pourtant une unité dans la culture coréenne, quelque soit le régime, due à sa langue et à son alphabet, crée de toute pièce au XVe siècle, au temps du roi Sejong. On retrouve la même sensibilité, le même dynamisme, la même gaieté et la même joie de vivre, la même recherche de l’innovation, et ce goût omniprésent de l’excellence, promu en idéal, renvoie sans doute aussi à l’éducation et au confucianisme. La Corée accumule ainsi les situations d’exception depuis ses origines, seule terre à mégalithes en Asie du Nord-Est, le seul pays à conserver à l’Est la bibliothèque la plus complète connue des grands textes bouddhiques, recopiés sur l’ordre du roi, pour faire face à la menace mongole, alors que le royaume n’a pas connu de persécution contre le bouddhisme, à la différence de la Chine, le seul pays enfin à initier la technique de l’impression, à l’aide de caractères métalliques mobiles, bien avant Gutenberg...

 

Mais, avec le temps, les références divergent et le fossé s’accroît comme l’urbanisme le montre ou encore la peinture, entre fascination américaine et rêve de la cité radieuse, entre le monochrome et le réalisme socialiste. Néanmoins, persiste le sentiment d’une même appartenance, la nostalgie d’une unité perdue dont témoigne joliment le proverbe coréen aussi connu à Séoul qu’à Pyongyang: «Nam nam, Puk nyo», «Homme du Sud, Femme du Nord»... L’Histoire coréenne avait témoigné en effet, jusque-là, d’une remarquable stabilité, soit un mouvement en 4 temps, introduction du bouddhisme au temps des 3 Royaumes, un bouddhisme d’état sous l’unification Silla, le Bouddhisme faisant figure d’un état dans l’état sous la période Koryo, qui voit l’unification de la péninsule avec Kaesong pour capitale, avant la réaction confucéenne qui suit, à l’époque Choson, et le transfert de la capitale à Séoul.

 

Mais, cette belle cohésion s’était brisée avec l’annexion du Japon, la libération bien loin de régler le problème débouchant sur la partition. Soumise aux pressions extérieures, sur fond d’affrontement des 2 blocs, la Corée n’a pas su résoudre ses propres contradictions et celles-ci ont porté bien souvent sur le thème de la modernité et des modèles auxquels se référer, entre Chine, Japon et Occident, avant de se résumer bientôt à la confrontation entre l’Amérique et le monde communiste. Depuis, le statu quo reste entier, d’autant que la Corée occupe une position clé entre des univers très différents, aux prétentions impériales, et que le dialogue intra-coréen ne peut à lui seul tout régler, malgré ses réussites ou ses échecs. Dans ce pays qui se voulait plus chinois que la Chine, s’érigeant en terre confucéenne, bien que Confucius soit chinois, il existe cependant une musique coréenne, dont témoigne son histoire culturelle.

 

Corée, une esthétique à part:

 

Car, si la Corée se réfère à la Chine, elle s’en éloigne toutefois et le céladon en est un bon exemple. Le prototype est chinois, mais la déclinaison en Corée en est très différente par la pureté de la gamme des couleurs qui joue d’un bleu-vert d’une extrême poésie et que chantent même les Chinois, mais aussi par ce goût de l’incrustation sous couverte, inconnu en Chine même, avec ces motifs de grues et de nuages qui témoignent d’un goût naturaliste très éloigné de l’idéal de perfection et de fadeur, typique de l’univers chinois. Ce goût pour la Nature est visible dans l’art de la Corée, tout au long de l’histoire, où n’existe guère la tentation du fantastique ou du macabre, du morbide et de l’irrationnel. Les fantômes sont absents en territoire Choson, ou peu représentés, et même les juges des enfers sur les bannières bouddhiques apparaissent vêtus comme de hauts fonctionnaires et de vrais magistrats.

 

On peut souligner ainsi ce goût de la réserve, ce refus des excès, ce goût de la matière et d’un décor qui touche parfois à l’abstraction, comme en témoigne la céramique punch’ong au début de la période Choson, à l’origine de la céramique du thé au Japon, comme en témoigne aussi le mobilier à la ligne très pure ou les premières académies confucéennes (sowon) au plan très simple, qui joue sur la simplicité d’une architecture de bois, située dans un cadre naturel souvent de toute beauté. Ce sens des matériaux, ce goût des proportions traverse toutes les périodes, mais s’épanouit notamment au XVIIIe siècle, avec ces «jarres-lune» de forme globulaire, en porcelaine blanche, ce goût du paysage d’après nature dont témoigne Chong Seon, le «peintre de la réalité», avec ses vues de Geumgangsan, les «Montagnes de diamant», ou ces scènes de genre dites à la coréenne, à la mise en page parfois quasi occidentale.

 

Il y a un humanisme dans l’art de la Corée, qui ne va pas sans gaieté, comme le montre le dialogue improbable du tigre et de la pie ou le couple peu banal que forme avec son tigre, son compagnon fidèle, le dieu de la montagne, Sansin, présent même au sein des monastères bouddhiques et représenté sous la forme d’un vénérable ermite, à la longue barbe blanche, assis au pieds du pin centenaire. Dans les années 1920, Yanagi Soetsu, le fondateur du mouvement Mingei au Japon, a vu dans les «jarres-lune», en vogue dans la Corée Choson, la quintessence même de l’esthétique coréenne par sa pureté et par son naturel, son acceptation tranquille des hasards de cuisson et d’un équilibre parfois très loin des standards de perfection chinois. Ces jarres sont d’ailleurs reprises très souvent, dans l’art contemporain aujourd’hui, sous forme céramique ou motif de peinture, comme le parfait reflet d’une identité coréenne.

 

Ce refus du discours, ce goût de la concision s’explique aussi peut-être par le fait que la Corée est une terre de granit et, par là-même, un pays où la sculpture va le plus souvent à l’essentiel, sans guère de fioriture. Mais, on peut noter, aussi, le goût du détail et de la précision, la prise en compte de l’infiniment petit ou bien du plus modeste, le sens de la note juste, cette délicatesse que souligne le maedup, décrit, de façon très exacte, au col d’un céladon, en forme de maebyong (maebyong signifiant meiping à la chinoise). Finesse, simplicité, voire même austérité, la Corée montre un sens du réalisme étonnant, dont témoignent les portraits de hauts fonctionnaires, sous la Corée Choson, qui savent saisir, sur un mode quasi photographique, la vérité physique, mais également psychologique du sujet, en en traduisant l’âme et l’esprit. L’esthétique coréenne se démarque ainsi de celle de ses voisins chinois ou japonais.

 

Le montrent l’élégance et le sens de la ligne, que souligne, dès la période des trois Royaumes (Ier-VIIe siècle), le thème des bodhisattvas méditant et la préciosité des couronnes et des parures en or. On peut rappeler également la taille monumentale de la stèle du roi koguryo Gangwaeto (Gangwaetowangbi), en territoire mandchou, ou le caractère unique de la grotte de Sokkuram, construite de main d’homme au VIIIe siècle et recouverte d’un dôme, fait sans aucun équivalent en Asie du Nord-Est. Bref, la péninsule est un pays paradoxal et multiplie les cas d’école, quand le «royaume ermite» n’est pas insensible, au XVIIIe siècle, aux échos de l’Europe, par le biais des Jésuites, à la cour de Pékin, et qu’à l’époque Choson il se veut un royaume où tout lettré est par définition fonctionnaire et où tout fonctionnaire est par définition lettré, soit un pays où semblent s’accumuler toutes les contradictions...



 

Mais, un dictionnaire n’est pas un monde fini. Il n’entend pas résoudre toutes les questions, mais plutôt les poser, tant la Corée fait figure d’exception à travers son histoire et sa situation actuelle. Se pose toujours la question des origines, du peuplement de la péninsule, de ses rapports avec le monde des steppes ou bien la Sibérie, de ses relations exactes aussi avec la Chine, au temps des 3 Royaumes. Fascine aussi l’avenir d’une péninsule au futur incertain, où Séoul juxtapose avec intelligence le patrimoine et l’art contemporain, sans compter les produits dérivés du cinéma à la K-pop, quand Pyongyang reste fidèle au monde d’avant et à sa propre logique, se préoccupant également de patrimoine, mais aussi des technologies les plus récentes pour tenter de rattraper l’écart qui peu à peu se creuse, alors qu’il était à l’issue de la guerre de Corée à la tête du pays le plus riche en matière d’industries  et de mines.

 

A titre de conclusion...

 

Pour un Chinois, qui a connu la Révolution Culturelle, la Corée a su garder les codes anciens sans en être prisonnière, tout en jouant la modernité, qu’il s’agisse des codes de courtoisie ou du costume traditionnel que l’on porte lors des fêtes nationales ou des cérémonies, voire même de l’art contemporain qui n’hésite pas, parfois, à se référer à l’art de la Corée ancienne, en peinture, en céramique, ou en photographie, sans même parler du cinéma et bien sur des drama. C’est ce que dit d’ailleurs un ambassadeur de la Chine Qing, lors de sa mission à la cour de Séoul, en 1866, et ce bien que la peinture en Corée témoigne alors d’une vitalité et d’une invention surprenantes, inconnues à même époque en Chine ou au Japon. A la fin des années 90, Séoul faisait face au dilemme: soit le pays s’internationalise, soit le monde se coréanise. Elle semble avoir choisi la 2ème solution. Peut-être, en fait, Pyongyang aussi...

 

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