BTS dynamite le service militaire ?
Les hommes de nationalité sud-coréenne sont tenus d’effectuer un service militaire d’une durée 18 mois et ce, entre 18 et 30 ans. Des exemptions sont possibles pour les personnes à mobilité réduite, ou souffrant d’un handicap, plus largement physique que mental, ou bien encore, plus rare, parfois pour les hommes qui sont les seuls pourvoyeurs financiers de leur famille. Malgré tout, la conscription est devenue un rite de passage à l’âge adulte pour les jeunes qui y apprennent à devenir des hommes.
Le service militaire est une question épineuse pour les Coréens et plusieurs arguments sont avancés par la société civile pour en demander la réduction de la durée : les Coréens ne ressentent plus le besoin de se préparer à la guerre face au Nord, de jeunes hommes perdent deux années de leur vie à un moment où ils sont dans la fleur de l’âge, les violences dont les minorités sont victimes montrent l’opacité d’une institution impopulaire, et surtout, les femmes, elles, n’ont pas pour obligation de participer à l’effort militaire.
Alors à quoi bon ?
Toutes ces préoccupations finissent par conférer un sentiment d’injustice à de jeunes hommes remontés contre une société qui les oblige à accomplir un service difficile dans une société qu’ils jugent déjà invivable. « Hell Joseon », en somme. La goutte d’eau qui fait déborder le vase.
Dans un tel contexte, parler d’exempter certains hommes du service militaire est une question particulièrement délicate. En quel honneur certains auraient-ils le droit de jouir d’une vie « libre » à la place de ces deux ans de sacrifice ?
La question revient plus souvent qu’il n’y paraît quand il s’agit d’idol, ces chanteurs-beaux-gosses-multi-talents, mais d’aucun n’aura poussé la question aussi loin que le groupe BTS. BTS, ce sont sept garçons qui chantent, dansent mais à l’international. Cette année, le membre le plus âgé, Jin, a eu 30 ans. Le groupe a donc reculé au maximum son départ de la scène pour le service militaire. La percée de BTS est telle qu’ils figurent haut classés dans les charts américains, font des discours pour la jeunesse à l’ONU et sont même invités à la Maison Blanche pour discuter avec le président Joe Biden du racisme anti-asiatique. Leur renommée mondiale contribue à la diplomatie, au soft power sud-coréen mais pas uniquement.
Le groupe a généré des milliards de dollars pour l’économie sud-coréenne à laquelle ils contribuent très largement. En 2019, l’argent gagné par le groupe représentait 0.2% du PIB national, soit l’équivalent d’un grand groupe sud-coréen. Leur poids économique n’est donc pas à négliger. La question est donc de savoir si la contribution économique nationale des membres du groupe a été importante au point de les exempter d’un autre service national : la conscription. Cette interrogation n’est pas uniquement portée vers le passé. Elle se prolonge vers le futur : Quel serait le manque à gagner pour le pays si les BTS entraient en pause ? On compare deux années de vie sacrifiées à une somme financière. La question philosophique qui se cache derrière est donc de savoir si ces deux ans peuvent être remplacés par de l’argent. Une vie devient payable, on lui attache un prix, même élevé.
La polémique aura duré des mois, montrant ainsi à nouveau les disparités socio-économiques de la Corée du Sud ainsi que le poids du néo-libéralisme. Le sort d’un pauvre ne se discute pas, mais celui d’un riche sera au moins examiné. Est-ce qu’un homme à l’impact financier important devrait être exempté parce qu’il aura déjà contribué à l’effort économique, en quelque sorte ? Quid de la question des Chaebols ? La réponse est officiellement « non ».
Finalement, l’agence du groupe, Big Hit, a mis fin au suspense en annonçant le 17 octobre que les BTS entraient en pause afin de pouvoir accomplir leur service militaire.
© Illustration de Julien Saint-Sevin
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